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le collier des jours

rines, leur bonnet bordé de ruches noires qui leur retombaient sur le nez, leur donnaient l’air de vieilles poules huppées. Elles s’étaient chargées, parfois, des commissions pour moi, lorsque j’avais quelques sous.

Je fis exprès de rendre en dernier la visite obligatoire à la supérieure ; elle me détestait et je ne pouvais pas la souffrir. Je lui en voulais, surtout depuis qu’elle m’avait infligé une punition, dont je n’avais jamais pu comprendre le motif. C’était un soir, où nous traversions la cour, en rangs, deux par deux, pour aller de la classe au réfectoire. Un vieux jardinier arrosait les pavés et un rayon de soleil tapait sur son arrosoir. En passant, attirée par ces gouttes brillantes, je fis un pas hors du rang et je passais ma main à travers la gerbe de pluie lumineuse. La supérieure sortait du jardin, à ce moment, voile baissé, à cause du vieux jardinier ; elle me vit, et ce geste bien innocent la mit hors d’elle-même. Elle déclara que c’était là le signe d’une dépravation précoce et qu’il fallait une punition exemplaire. J’avoue que j’ai souvent cherché à m’expliquer, depuis, sans y parvenir, comment elle avait vu là un signe de dépravation précoce !…

Notre entrevue fut courte et glaciale. Nous ne dissimulions, ni l’une ni l’autre, le plaisir que nous avions de nous séparer.