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le collier des jours

Ma mère et ma sœur m’accompagnaient, nous prenions un fiacre, qui n’en finissait pas d’arriver à cette rue de l’Ouest, située si loin, derrière le Luxembourg.

Je ne savais pas trop ce qui m’attendait là et je ne me doutais guère de l’ennui qu’allaient me causer ces longues heures d’immobilité, sur cette haute estrade poussiéreuse, dans l’odeur du plâtre mouillé et de la terre glaise. Le vieux sculpteur démagogue agrémentait les séances de bavardages subversifs ; il rugissait contre les tyrans, ce qui ne l’avait pas empêché de sculpter, dans la pierre, un triomphe de Napoléon, pour une des faces de l’Arc-de-l’Étoile, qui regardent vers la banlieue. D’autre fois, il m’accablait d’éloges et me prédisait que, quand je serais grande, je ressemblerais à Vénus !… Mais ces louanges m’agaçaient encore plus que la politique et j’enviais beaucoup ma sœur qui pouvait courir et jouer dans le jardin, tandis que je subissais le supplice de la pose.

Il résulta, de cette longue pénitence, un joli buste en marbre de Carrare, dans lequel le nez, tout d’une pièce avec le front, et la coiffure en vieille dame, produisent un majestueux et agréable effet.