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le collier des jours

mieux qu’une autre qui se donnerait de la peine.

Au printemps suivant, je croyais savoir lire, car j’avais entrepris de transmettre ma science à une autre.

Mon élève, ou plutôt ma victime, était naturellement Nini. Je lui faisais honte, d’être si grande et de ne rien savoir. Elle n’avait pas honte, mais ne refusait pas d’apprendre. Nous nous installions sur les marches du seuil, du côté de la route de Châtillon, en face de la grande plaine ; j’ouvrais le livre dans lequel j’épelais, et la leçon commençait. Elle ne durait pas longtemps et finissait mal. Ma méthode d’enseignement n’était pas très bonne, à ce qu’il semble. D’un doigt impérieux je montrais une ligne du livre, et je disais « lis ». Nini restait muette. À la troisième injonction, comme elle ne lisait toujours pas, je la giflais. Alors, elle se mettait à pousser des cris et fondait en larmes. Sa mère sortait, l’empoignait par un bras, et, avec une nouvelle taloche, la faisait rentrer chez elle, tandis qu’une des tantes descendait, pour savoir ce qui arrivait.

— Elle ne veut pas lire, expliquai-je avec une pitié dédaigneuse, pendant qu’on me faisait remonter l’escalier.

En effet, la pauvre Nini ne sut jamais lire.