Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/105

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rait point de battre et qu’il continuerait d’aimer, de compatir aux souffrances. Mais Ta-Kiang marche, inflexible comme le bronze, vers son but glorieux, et ne voit pas les fleurs qu’il écrase en chemin. Pauvre Yo-Men-Li, quelle terrible action on te fait commettre ! Devant elle les plus féroces guerriers sentiraient leur cœur pâlir et leurs mains trembler. Que sera-t-elle donc pour toi, douce fille au grand dévouement ? Tu seras morte avant de lever le bras. De toutes façons d’ailleurs tu périras. Mille supplices déchireront ton corps charmant ; et lui, à qui tu auras donné tout ton amour et ta vie, il ne retournera même pas la tête pour donner une larme à ton cadavre.

Ko-Li-Tsin frappa du pied avec colère et s’essuya rapidement les yeux.

— Pourquoi ne m’a-t-on pas choisi ? ajouta-t-il. Un homme a de la force pour souffrir.

Il resta un instant immobile, mordant ses ongles. Les passants, étonnés, tournaient la tête pour le voir.

— Je veux la sauver ! s’écria-t-il subitement. Il est impossible que je la laisse mourir.

Et il se mit à courir. Il enfila la ruelle du Poisson Sec, qui débouche dans l’avenue de la Tour Blanche, atteignit la rue des Parents de l’Empereur et remonta le chemin des Lions de Fer, qui le conduisit à l’une des portes de la Ville Jaune. Il passa si vite sous l’arcade du portail que la sentinelle n’eut pas le temps de l’arrêter. Enfin, arrivé devant le palais de Koueng-Tchou, il s’élança dans la cour.