Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/109

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— Encore ! pensa Ko-Li-Tsin ; je mérite la cangue ! Voilà que je prête à cet homme des sentiments élevés.

Il ajouta tout haut :

— Tu perds une précieuse occasion ; elle ne se retrouvera jamais.

— C’est vrai, dit le Tartare, qui s’oublia jusqu’à s’arrêter devant Ko-Li-Tsin.

— Va donc ! insista le poète.

— C’est impossible.

— Pourquoi ?

— On me couperait la tête.

— Personne ne s’apercevra de ton absence.

— Tu crois ? Les guerriers, du haut des murailles, verraient que personne ne garde la Porte du Sud. Il faudrait que quelqu’un me remplaçât.

— Eh bien ! donne-moi ta pique, je marcherai sur le pont en t’attendant ; mais fais vite. Le bonheur t’attend là-bas, et ici l’ennui te tient.

— Attends, il faut que je réfléchisse, dit le soldat ébranlé.

Il reprit sa promenade, mais revint en courant :

— Prends mon sabre, dit-il. Au prochain tour, je te donnerai ma pique.

Ko-Li-Tsin prit le sabre et ferma à demi les yeux pour cacher les pétillements de ses prunelles.

Le soldat parcourut le pont en trois enjambées.

— Tu ne bougeras pas avant mon retour ? dit-il en confiant sa pique au poète.

— Sois tranquille.

Il n’y eut pas d’interruption dans la promenade ;