Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/110

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Ko-Li-Tsin commença d’arpenter le pont au moment même où la sentinelle s’éloignait rapidement.

À cent pas elle se retourna ; elle fit un signe de tête au poète, qui la guettait, puis disparut.

Alors Ko-Li-Tsin s’enfonça sous la voûte centrale du grand portail. Il était sûr de n’y rencontrer personne. Il posa la pique contre la muraille et mit le sabre à sa ceinture.

— Cela peut servir, dit-il.

Bientôt ses semelles claquèrent sur les dalles du Boulevard de la Force. Les eunuques qui le voyaient passer le prenaient pour l’un d’entre eux. Une émotion violente le tenait par la gorge. Son cœur battait d’orgueil et de joie.

— Quoi ! pensait-il, je suis dans cette mystérieuse cité, merveille incomparable, qui apparaît souvent dans les rêves des hommes ! Moi, poète obscur, je pénètre par mes propres forces dans l’enceinte où nul n’entre ; je lève mes regards sur les splendeurs sacrées ; je viole la demeure du Ciel ! Je suis sacrilège et glorieux !

Il s’arrêta pendant un instant ; il n’osait avancer davantage.

— Allons, dit-il, en se faisant violence, Yo-Men-Li est en péril. Elle va mourir peut-être. Il faut que je meure à sa place.

Le poète tira son éventail de sa manche et le déploya pour se donner une contenance tranquille. Il traversa lentement la grande cour des manœuvres, s’engagea dans les rues somptueuses, franchit le seuil d’un haut portail et poussa un cri d’admiration