Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/132

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tu dois avoir l’haleine courte. Attends, n’étouffe pas ; voici ton lit.

Le bourreau replaça l’échelle sous le mandarin, monta, desserra le nœud et dit : — Repose-toi, honnête Koang-Tchou. Si tu as un liang dans ta poche, je t’apporterai une tasse d’eau. Tu ne veux pas boire ? Je comprends, tu es de mauvaise humeur. Il faut croire qu’un lacet de soie change beaucoup le caractère, car tous ceux que je pends sont comme toi. Mais, dit le bourreau, tu t’es assez reposé, je crois.

Il descendit de l’échelle et la retira en disant :

— Te voilà encore pendu.

Puis, s’étant assis à terre, il continua :

— Cependant, je ne crois pas que la mort par la pendaison soit plus désagréable qu’une autre. Je ne veux parler que des morts violentes, n’étant pas médecin, mais bourreau. Eh bien ! je suis persuadé que la strangulation est pénible. Le pouce, longuement appliqué sur la gorge, doit faire du mal. Quant au supplice qui consiste à être coupé en dix mille petits morceaux, je te conseille, si tu t’échappes de mes mains (ce qui est infiniment peu probable), je te conseille de ne pas t’y faire condamner. Les Sages l’évitent ; ils préfèrent la simple décollation, qui est rapide, étincelante et rouge. Tu aurais dû te borner aux méfaits qui s’expient par la décollation. Allons, tu deviens jaune maintenant ? Je n’ai jamais vu d’homme aussi sensible à la pendaison. Quand tu étais mandarin, tu devais tirer la langue en montant l’escalier des terrasses. Me voilà, me voilà.

Il replaça l’échelle, monta et desserra le nœud.