Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/154

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raient brusquement ! oh ! combien leur effroi serait moins violent que le mien !

Elle retint son souffle et marcha lentement. Parfois elle frôlait le ventre rebondi d’un grand vase de porcelaine ou le rebord d’une balustrade de laque. Soudain le bruit de ses pas s’éteignit ; elle foulait un épais tapis de fourrures : sans s’en apercevoir elle avait pénétré dans une autre salle. Elle s’arrêta, épouvantée : elle voyait de toutes parts, dans les murailles, des yeux flamboyants qui la regardaient avec courroux ; on eût dit d’une troupe innombrable d’affreux oiseaux aux prunelles lumineuses, perchés sur des buissons noirs.

Yo-Men-Li cacha son visage dans sa main.

— J’ai versé le sang du Ciel, murmura-t-elle ; j’ai vu sur la poitrine sacrée une larme rouge au milieu des pierreries ; voici les Pou-Sahs terribles qui demandent vengeance. Oh ! Ta-Kiang ! Ta-Kiang !

Pour calmer son cœur elle pensa au fier regard et au front superbe de celui qu’elle adorait.

Elle releva la tête ; les yeux dans les murailles brillaient toujours. Cependant elle vit un large espace complètement noir. Baissant les paupières et étendant les mains, Yo-Men-Li se dirigea rapidement vers lui. C’était une porte. La jeune fille en écarta les draperies moelleuses, puis elle resta immobile sur le seuil.

La lune éclatait, bleue et claire, de l’autre côté du rideau ; mais ce n’était pas une chambre qu’elle éclairait ; c’était un lac. Yo-Men-Li vit distinctement des roseaux et des bambous se refléter dans l’eau