Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Le fils de Kang-Shi ! s’écria Yo-Men-Li, en mettant ses mains sur ses yeux.

— Tu ne veux pas me voir ? dit le prince en se dressant. Kang-Shi est un empereur glorieux et bon. Pourquoi ne veux-tu pas voir le fils de Kang-Shi ?

La jeune fille leva sur lui ses beaux yeux sauvages et humides. Le prince Ling paraissait n’avoir pas plus de dix-sept ans. Son visage à l’ovale pur était olivâtre et limpide. Ses longs yeux, pleins de passion, étincelaient fièrement. Sa bouche ressemblait aux pêches d’automne. Il portait une robe de satin jaune brodée d’or, et le Dragon Impérial brillait sur l’étoffe dans des rosaces et des lunes.

— Mais toi-même, qui es-tu, cher petit frère ? reprit le prince, qui regardait en souriant les vêtements menteurs de Yo-Men-Li. Dis-moi pourquoi tu es ainsi vêtue, et pourquoi tu étais à cette heure dans la Salle d’Airain, faisant un tapage si épouvantable ? Ne voulais-tu pas me tuer, comme on a voulu tuer aujourd’hui mon père bien-aimé ?

La jeune fille frissonna ; mais le prince lui riait si doucement qu’un peu rassurée, elle pensa : « Il faut cacher l’émoi de mon cœur et user d’artifice. Ce jeune homme me fera sortir du Palais. »

— Laisse-moi, dit-elle, m’agenouiller devant toi et te rendre l’hommage qui t’est dû.

— Regarde-moi avec des yeux moins sombres : ainsi tu caresseras mon cœur plus agréablement que par un salut.

Yo-Men-Li s’était levée, écartant les fourrures qui l’enveloppaient.