Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/253

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abricotiers sauvages, le mûrier et les figuiers rampants s’enlacent ; ils forment un réseau inextricable et parfumé au-dessus duquel tournoient sans relâche des insectes bourdonnants, et volètent des oisillons sans nombre au plumage multicolore, aux perpétuelles roulades, qu’interrompt quelquefois un grognement rauque ou un long miaulement plein d’une tendresse dangereuse. Aux bords du lac, des tiges de bambou, minces, espacées, s’élèvent directes. Quelques saules au pâle feuillage se tordent ou se penchent. Parfois une tortue qui nage lentement écarte les nélumbos en fleur, tandis qu’un oiseau aux pattes grêles traverse l’eau et jette un cri.

Les Montagnes Fleuries sont d’ordinaire désertes, et la Vallée du Daim Blanc est une vallée de solitude. Les jours sont rares où un pieux voyageur, venant du Hou-Pé ou du Ho-Nan, monté sur un buffle qu’il dirige du bout d’un rameau symbolique, suit le sentier à demi effacé qui s’enroule autour du mont et descend dans la vallée jalouse. Aucun bruit humain ne se mêle au chaud bourdonnement, épars dans la lumière, qui vient des arbres, des cascades, des fleurs, des papillons.

Cependant le premier jour de la cinquième Lune, une clameur inaccoutumée, qui roulait de sommets en sommets et de ravins en ravins, fit ouvrir l’œil aux tigres somnolents et gronder les ours noirs. C’était une rumeur confuse de musique, de cris, de hennissements, de galops entrecoupés. Par instants, un chevreuil épouvanté s’élançait d’une broussaille et bondissait dans la vallée, des renards et des onces