Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/271

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aveuglé par vos plates louanges, je suis tombé dans un gouffre sans fond. Vous avez coupé les jarrets du Dragon. Je vais tomber comme un mourant, brisant le cèdre vivace de ma dynastie. Cependant, je suis venu du Septentrion, vainqueur et magnanime ; j’ai dompté les cœurs et conquis les pays ; jetant les sabres, j’ai posé mes mains paternelles sur les villes, j’ai laissé derrière moi la joie mêlée au respect, et j’ai pu m’asseoir, rayonnant et superbe, sur le vieux trône de la Chine glorieuse. Mais aujourd’hui, vous que j’entraînais dans mes victoires, vous que je faisais grands, enviés, célèbres, vous que j’aimais comme des fils, voilà que sourdement et lâchement vous avez miné l’édifice splendide que j’avais construit. Ah ! sachez-le bien, il vous écrasera tous en s’écroulant. Mon trône est trop lourd pour ne pas effondrer la terre lorsqu’il tombera. Croyez-vous donc, fumeurs d’opium, débauchés immondes, parce que vous fermez les yeux, que les flèches ne vous atteindront pas ; parce que vous fermez les oreilles, croyez-vous que l’orage ne gronde pas ? Et quand vous cacherez vos lâches visages dans vos mains, la foudre n’osera-t-elle pas tomber sur vos têtes ? Vous ne savez donc pas, étant bien abrités derrière des murailles, que le rebelle triomphe, que les villes pleurent et saignent sous ses pas, qu’il écrase et qu’il dompte, et que le peuple, terrifié mais plein d’enthousiasme, le suit et l’acclame ! Vous ne savez donc pas que Pei-King est à lui, que mes soldats m’abandonnent, que seuls les murs de la Ville Rouge nous protègent encore, et que demain peut-être elle