Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/315

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vils soldats, je vais composer le poème dont tu es le prix.

Ko-Li-Tsin devint silencieux. Tout en guettant les mouvements de ses adversaires et en écartant violemment leurs glaives, il balançait la tête selon des rythmes.

— Un ! s’écria-t-il bientôt, le premier vers est fait ! Gloire aux Pou-Sahs ! Toi, ajouta-t-il, parlant au plus laid des quatre Tartares, tu me déplais avec ta face noire et borgne : je t’aimerais mieux aveugle.

Et il enfonça son glaive dans l’œil du soldat qui tomba en arrière, mort.

— Très bien ! dit Ko-Li-Tsin. Je tuerai un homme à chaque vers.

Et il se remit à songer.

— Deux ! cria-t-il, après un long temps. Le second vers vibre dans mon esprit. Eh bien ! personne ne tombe ?

Et le poète faisant un pas brusque en avant, perça à la fois de ses glaives deux des Tartares.

— Ah ! ah ! dit-il, cette fois mon esprit est en retard.

Mais il courait un grand péril. Pendant que ses sabres étaient engagés dans les blessures, le dernier adversaire se ruait sur lui dangereusement. D’un violent coup de pied, Ko-Li-Tsin le fit rouler à terre, et pendant que le soldat furieux se relevait, il dégagea ses glaives, et, terminant son troisième vers :

— Trois ! dit-il, j’ai rattrapé le temps perdu.

Et il se remit à batailler sans colère avec le dernier vivant.