Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/316

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— Tu penses bien, lui dit-il, que je n’ai plus besoin de me presser, et que je vais prendre tout mon temps pour inventer la fin de mon poème. Tiens, je te piquerai à chaque caractère qui s’épanouira dans mon cerveau ingénieux ; le vers sera de sept caractères ; ainsi, à chaque coup, tu sauras exactement où j’en serai.

Le soldat rugissait et se démenait désespérément.

— Voyons, dit le poète, connais-tu ce caractère ?

De la pointe d’un sabre il lui grava sur le front un signe sanglant.

— Non, continua-t-il. Je suis sûr que tu ne sais même pas tracer ton nom. Tu ne mérites aucune estime. Voici le second, ajouta-t-il.

Il lui abattit une oreille.

Le soldat, épouvanté, commençait à reculer.

— Allons ! reprit Ko-Li-Tsin, je suis clément et je fais grâce de quatre mots : voici le dernier.

Et il lui plongea son glaive dans le cœur.

— Mon poème est terminé ! s’écria-t-il alors en levant les bras. Ô belle Tsi-Tsi-Ka, fleur de mon triste jardin ! tu es à moi ; tu n’appartiendras à aucun époux, et, après ma mort, tes larmes féconderont ma tombe !

Mais tout à coup, pendant qu’il se livrait à sa joie mélancolique, une femme se précipita dans ses bras avec un cri d’épouvante. C’était Yu-Tchin. Elle avait suivi le poète durant tout le combat, tremblante et pleine d’effroi, mais bravant la mort pour ne pas quitter celui qu’elle aimait.