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Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/341

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femme et je puis porter un tel bonheur ? Vois, mes mains tremblent, mes yeux sont pleins de larmes, mon cœur m’étouffe. Il a dit cela ? C’est moi qui suis ton époux ! Oh ! que je t’aime, Tsi-Tsi-Ka ! ne m’oublie jamais, reste fidèle à ma mémoire, ô tendre veuve, et remercie le seigneur Lou de sa grande clémence !

— L’empereur ? Viens le remercier avec moi ; il t’attend, il te fait un des plus grands de l’Empire.

— Je ne puis aller vers lui, douce amie ; mais mon épouse adorée parlera pour moi.

— Pourquoi ne peux-tu pas venir ?

— Parce qu’il faut que je meure.

— Mourir ! mourir ! Pourquoi, puisque tu as ta grâce ?

— Parce que mes amis sont partis. Je tarde beaucoup, il faudra que je me hâte pour les rejoindre.

— C’est donc ainsi que tu m’aimes ! s’écria Tsi-Tsi-Ka.

— Oui ! dit Ko-Li-Tsin, je t’aime assez pour ne pas vouloir te donner un époux lâche et déshonoré. Je meurs pour que tu sois une veuve glorieuse ; mais je ne partirai pas sans écrire pour toi le poème par lequel je t’ai conquise.

Et, pendant que Tsi-Tsi-Ka fondait en larmes, Ko-Li-Tsin, le front calme, les yeux brillants, trempa son doigt dans le sang encore chaud des rebelles et traça des gros caractères rouges sur la façade blanche d’une maison voisine :

Ô tristes enfants de la vieille patrie ! voici que notre face est dans l’ombre et que nos yeux ne réfléchissent