Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/343

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çait de nobles caractères sur le mur d’une maison, la foule s’était silencieusement rapprochée, et lisait. Le poète n’avait pas achevé d’écrire son premier vers, que sur les faces de tous les spectateurs éclatèrent les signes de la plus vive admiration. « Bien ! bien ! » disait-on de toute part, et plus d’un, saisissant un encrier pendu à sa ceinture, se hâtait de copier sur son éventail les caractères du poème. Au second vers l’admiration s’exalta. « Quel est cet homme-ci ? cria fortement un lettré du Han-Lin-Yuè, égaré parmi la populace ; quel est cet homme qui dispose si ingénieusement les sonorités des rimes les plus rares, équilibre avec tant d’habileté la force et la mollesse des rythmes divers, emploie, à l’exclusion de tous autres, les caractères purs chers aux Sages anciens et enfin, prêt à mourir, se révèle philosophe comme Lao-Tze, poète comme Sou-Tong-Po ? » Le troisième vers, par ses comparaisons hardies, redoubla l’enthousiasme. Les soldats tartares eux-mêmes, bien qu’ignorants et vils, ne purent s’empêcher de joindre leur approbation à celle des Chinois, et quand, de sa belle écriture, Ko-Li-Tsin eut tracé le dernier vers de son poème, tous, d’une voix haute, s’écrièrent : « Non, nous ne laisserons pas s’échapper tes conseils comme les doigts laissent fuir l’eau, et le souvenir de Ko-Li-Tsin, poète et guerrier, est désormais gravé dans notre esprit, comme jadis furent gravés les hauts faits des trois souverains sur la carapace de la Tortue Divine ! »

Ko-Li-Tsin était heureux. Il salua la foule. Il dit à Tsi-Tsi-Ka :