Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/70

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— Ho ! ho ! dit-il, je crains de deviner. Mes amis se seront laissé prendre par les veilleurs de nuit. Ils n’auront pas su répondre à cette question posée sans politesse : « Que faites-vous si tard hors de chez vous ? » Glorieux Ta-Kiang, tendre Yo-Men-Li, vous passerez la nuit en bien mauvaise société : voleurs, mendiants et vagabonds, ces repaires de vermine, vous coudoieront amicalement et vous appelleront : Frères ! J’espère que nos sujets, lorsque nous serons empereur, auront la licence de se promener jusqu’à la onzième heure sans s’excuser.

Deux lueurs rousses parurent au fond d’une rue et s’avancèrent en se balançant.

— Voici les yeux du tigre, dit Ko-Li-Tsin. Mais qu’il vienne avec ses griffes crochues et ses moustaches roides ; comme je saurai lui répondre sans hésitation : « Ma femme est en train de me donner un fils ; je vais promptement quérir la marna. » Et le tigre s’éloignera en me souhaitant bonne chance. Mais, continua le poète, cette réponse était d’usage autrefois quand j’habitais Pei-King ; depuis, les naissances ont dû se multiplier à un degré d’invraisemblance, visible même pour l’œil de la police, et je risque fort d’être traité de radoteur, de menteur, et probablement de voleur. Dans cette appréhension, je juge prudent de me dérober adroitement et d’éviter tout conflit ; car il faut que je demeure libre pour retrouver mes compagnons s’ils sont égarés, pour les délivrer s’ils sont captifs.

Ko-Li-Tsin sauta à terre, attacha son cheval à la