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Page:Gautier - Le Second Rang du Collier.djvu/278

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le second rang du collier

reux du monde. Ses succès littéraires lui donnaient une assurance et un joyeux orgueil, qui rayonnaient de sa personne, continuellement. Il avait coutume de dire, en parlant de lui-même : « l’auteur de Fanny », et il n’avait rien imaginé de plus beau à offrir à sa fiancée, lorsqu’il s’était remarié, qu’un émail, très finement peint sur le chaton d’une bague, qu’il montrait à tous ses amis, et représentant : « l’œil de Feydeau ».

Il gardait cependant beaucoup de candeur et de naïveté, une tendance à tout croire, et à mal comprendre l’ironie et les paradoxes : c’est pourquoi le pince-sans-rire féroce, qu’était Baudelaire, l’horripilait si fort et le mettait hors de lui.

Oubliant l’œuvre de Balzac, il s’imaginait avoir inventé la psychologie, et il observait toujours, autour de lui, étudiait les âmes, à travers les corps.

Une fois, je m’étais jetée sur le canapé, le poing à la tempe, comme absorbée par une rêverie ténébreuse. Feydeau causait avec mon père, en face de moi. Il se mit à m’examiner et fit, à demi-voix, des réflexions que j’entendais très bien : « le naturel de l’attitude, si savante cependant… la grâce qui s’ignore… l’intensité de l’expression, produite sans doute par quelque pensée frivole, etc.. » Lorsqu’à la fin je me relevai brusquement, comme éveillée par l’attention dont j’étais l’objet, il me dit :

— Jeune fille, souviens-toi que, sans le savoir, tu as légèrement posé devant Feydeau.