Aller au contenu

Page:Gautier - Le Troisième Rang du collier, 4e éd.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
LE COLLIER DES JOURS

raison même de ses dons sans limites, m’inspira une angoisse tragique.

La rencontre entre le Maître et le disciple fut touchante et cordiale. Et quelle heureuse surprise, pour le créateur de Tristan et Isolde, de découvrir que Schnorr, enthousiasmé par cette œuvre réputée injouable, la connaissait dans toute son intimité et savait d’un bout à l’autre le rôle de Tristan ! Pourtant il eût hésité à le chanter, et cela à cause d’un passage au troisième acte : il ne comprenait pas bien quelle devait en être l’expression musicale, et ce passage, il le jugeait de la plus haute importance.

Ce noble scrupule valut à Wagner un des plus vifs étonnements de sa vie. Quoi ! un ténor acclamé de tous avait si peu de vanité, une si belle conscience de sa mission artistique ! Il doutait de lui-même et ne se croyait pas, malgré son expérience et sa maîtrise, capable d’interpréter un rôle, parce qu’il ne comprenait pas tout à fait le sens profond et l’expression parfaite d’une seule phrase, dans une œuvre aussi touffue !… Et l’idée de couper cette phrase, la première qui serait venue à tout autre chanteur, n’avait même pas effleuré cet esprit d’élite.