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LE TROISIÈME RANG DU COLLIER

salut qu’a un hasard singulier : dans un village proche de la frontière, ses compagnons furent arrêtés et on ne prit pas garde à lui, qui s’était endormi dans un coin obscur d’une salle d’auberge.

— Wagner condamné à mort !…

— C’est inouï, n’est-ce pas ? Mais ne vous imaginez pas qu’il était un démocrate bien farouche : les questions d’art seules l’occupaient, et, comme le Walther des Maîtres Chanteurs, il était surtout en révolte ouverte contre la tyrannie de la routine. Il croyait sincèrement qu’un bouleversement politique amènerait une réforme de l’art : il a payé cette erreur par douze années d’exil. Comme l’insurrection était vaincue, il garda l’illusion que des temps meilleurs pourraient venir pour sa patrie et pour l’art. C’est alors que seul, séparé du monde, vivant de rien, il conçut, en vue de ces temps meilleurs, le plan de sa Tétralogie, du grand drame national qui devait faire revivre devant le peuple allemand régénéré, les dieux et les héros de l’ancienne mythologie germanique… Les années passèrent, les temps meilleurs ne venaient pas, et la vie de l’exilé se faisait de plus en plus amère. Cependant, sans qu’il s’en doutât, Richard Wagner