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LE TROISIÈME RANG DU COLLIER

m’offrir son bras, sous les regards envieux et déçus de la plupart des femmes. Il laisse passer tout le monde devant nous, dans l’idée, sans doute, de se ménager un aparté avec moi. En effet, dès que nous sommes seuls, il me dit à demi-voix

— Vous avez vu Cosima ?

Je n’ai pas bien le sentiment de ce que vaut la haute personnalité de Liszt ; j’ignore absolument la beauté de ses compositions, que j’admirerai tant plus tard, et l’incomparable noblesse de son caractère ; je le considère seulement comme un très illustre pianiste : aussi je ne suis pas du tout intimidée, et, le croyant hostile aux résolutions de sa fille, c’est avec une véhémence agressive que je lui réponds :

— Je vous en prie, ne me dites rien contre votre fille : je suis à tel point de son parti que je ne puis admettre aucun blâme. Quand il s’agit d’un être tellement au-dessus de l’humanité que Richard Wagner, les préjugés et même les lois des hommes n’ont plus de valeur. Qui donc pourrait ne pas subir, avec joie, la fascination et le prestige du génie ? À la place de Cosima, vous auriez fait comme elle, et votre devoir de père est de ne pas mettre obstacle à la réalisa-