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LE TROISIÈME RANG DU COLLIER

c’est possible ? s’écrie Villiers en caressant les coussins.

Et nous parlons tous à la fois, reprenant chaque détail de cette journée inoubliable.

Pourtant la faim nous tracasse de plus en plus : quel souper tout à l’heure, à l’hôtel du Lac !…

Un garçon somnolent se lève de son lit de camp pour nous ouvrir la porte.

— Peut-on manger ? lui crions-nous.

Ce n’est pas son affaire : il n’en sait rien, se recouche et ronfle.

Nous voilà errant par l’hôtel, tournant les boutons de portes fermées à clé, nous pendant aux sonnettes : rien ! le silence, la solitude, le sommeil… Eh bien, nous voulions affronter le martyre pour la cause que nous défendions : est-ce que nous allons nous plaindre, pour un jour de jeûne ?… Oh ! non !… Puisqu’on ne peut l’éviter, cette épreuve nous plaît, à présent ; elle nous semble juste et symbolique : l’estomac vide, nous écouterons mieux chanter la joie de notre cœur, l’ivresse de notre esprit… Très heureux, nous nous couchons, espérant revoir en rêve, là-bas, sur le lac bleu, le promontoire sacré où nous retournerons demain…