Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/165

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dessus des paisibles abîmes, son âme si divine, comme un ciel où naît l’orage, s’emplissait d’ombres tumultueuses. Une tempête, peut-être, la ravageait, sans que le corps, impassible, voulût rien en laisser paraître ; mais, ainsi que des reflets d’éclair, des redoublements de pâleur blêmissaient la face, trahissant la tourmente antérieure.

À quelques pas du prophète, un vieillard, noir de visage, à barbe blanche, le chambellan Dabboûs, se tenait debout, les bras croisés sur la poitrine, et regardait son seigneur avec une anxiété croissante.

Enfin il éloigna, d’un geste, les esclaves qui rythmaient le silence en faisant sourdement vibrer les cordes des rébabs, et il se rapprocha du maître.

— Toi, l’inaccessible, dit-il, le prophète inspiré, le khâlîfe de Dieu, qu’as-tu-donc ? Quelle lourde tristesse pèse sur ton cœur et t’absorbe tout entier ?

Raschid eut un sursaut et répondit évasivement :

— Quoi ?… Je n’ai rien.

— Ô seigneur ! dit Dabboûs, à quoi bon retarder ta réponse ? Ne suis-je pas ta conscience ? Souviens-toi de tes propres ordres. Suis--