Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/166

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moi, m’as-tu dit, suis-moi dans mon ascension glorieuse, pour me préserver de l’orgueil et du vertige de la puissance ; signale-moi mes fautes, mes faiblesses ; surveille mon âme, afin qu’aucune des misères humaines ne puisse l’atteindre ; sois vigilant et rigide, et que rien, pas même ma colère, ne te détourne de ta mission. J’ai juré de t’obéir. Raschid ed-Din, je suis ta volonté même, incarnée et vivante. Écoute donc ta propre voix, qui te crie par ma bouche : « Prends garde ! Prends garde ! ton âme chancelle. »

Avec un mouvement d’impatience, le prince dit d’un ton ironique :

— Ton zèle t’égare, ou bien ta vigilance est en défaut, puisque tu ne l’as pas vu naître, ce mal, que tu signales aujourd’hui, sans pouvoir dire quel il est.

— L’incapacité du médecin n’est pas en cause. Ah ! prophète, cette réponse est indigne de toi !

— Que veux-tu ?… dit Raschid avec plus de douceur. J’ai vraiment honte de l’avouer quelle piqûre infime me fait souffrir… D’ailleurs, c’est passé ; ce n’était rien.

— Ce n’était rien ! Et, pour la première fois,