Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tel vertige que j’en suis épouvanté ! Mais tu ne comprends donc pas ? Pour la première fois, il m’a saisi, ce mal terrible, auquel je ne pouvais croire. Si je cède, vois-tu, c’est fait de moi. Cette puissance, presque surhumaine, conquise par tant de labeurs et qui, pour ne pas déchoir, exige toute ma volonté, toutes mes forces, s’écroulerait dans les fleurs ; et le prophète formidable, dont le nom seul fait trembler les rois, ne serait plus rien…, plus rien qu’un homme heureux !

Dabboûs souriait toujours.

— Quelques semaines de folie, dit-il, puis une illusion qui se dissipe, et la sagesse triomphant.

— Ne crois pas cela ! s’écria Raschid. Ce n’est plus le charme passager qui s’exhale de mes belles amantes comme dés fleurs le parfum. C’est quelque chose de violent et de douloureux, une obsession, une brûlure, une force qui brise ma volonté. Je veux chasser cette pensée, et elle seule emplit mon esprit. Cette femme je la fuis, et je ne vois qu’elle !

— Tu la fuis ?

— Depuis le jour où je l’ai reçue ici, avec les égards que son rang exigeait, je ne l’ai pas revue,