Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/184

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— C’est trop peu : c’est tout ton amour qu’il me faut.

Et, quand il l’eut vue disparaître, emportée par les esclaves, il appuya ses deux mains sur les épaules de Dabboûs et lui dit avec un sourire :

— Cette fois, ta sagesse est folie. Aucun rêve n’égale cette Gazileh… à l’écouter, j’étais à tel point charmé que j’oubliais presque qu’elle est si belle.

— Tu la vois avec les yeux éblouis de l’amant, dit Dabboûs. Plus l’illusion est ardente, plus vite elle se consumera.

— Non, non, n’aie pas cette illusion.

— Si c’était vraiment aussi grave, pour être digne de toi-même, il faudrait arracher violemment de ton cœur un sentiment qui peut le faire déchoir.

— Je ne le pourrais plus, dit Raschid.

— Est-ce toi qui as parlé ? s’écria Dabboûs avec une surprise douloureuse. C’est la première fois qu’une telle phrase passe entre tes lèvres ! Veux-tu me railler ? Toi l’esclave d’une femme ! Cela n’est pas vraisemblable. Non, non, romps vite ces honteuses chaînes. Déjà l’humiliation de les porter courbe ton front et assombrit tes regards.