Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/273

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malgré lui, pourtant, il la vit, fière et digne, si douloureusement belle de l’angoisse qui la torturait, qu’il ferma les yeux pour échapper au despotique charmé de sa présence. Mais, la seconde d’après, sa rage s’augmenta encore sous la honte de cette faiblesse. Et il répondit à Hugues, d’une voix basse et tremblante, qui ne se contenait plus :

— Des supplices ?… Lesquels ?… En connais-tu, dis, capables de m’apaiser ? Toi qui es aimé, peux-tu même imaginer ce que j’éprouve, moi qui aime en vain ? Songe que j’ai voulu la voir dans tes bras, l’entendre te donner son âme : je croyais que cette vision-là arracherait de moi la folie ; je croyais pouvoir faire grâce peut-être, étant redevenu moi-même. Mais non ; la douleur l’emporte ; le mal est plus aigu, l’outrage plus cuisant… Un outrage ! à moi ! Ah ! pour l’effacer, je veux noyer le monde sous un déluge de sang,

Hugues, levant sur lui le loyal regard de ses beaux yeux clairs, où toute colère s’éteignait, dit, avec une émotion vraie :

— Ô malheureux ! je comprends ce que tu souffres et j’ai compassion de toi ; je mesure ta douleur à l’immensité de ma joie ! Avant de mourir par toi, je te pardonne.