Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/280

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obscurcie,… éteinte peut-être ? C’est que, jusqu’alors, j’étais un juge équitable, que je punissais des coupables, dont les offenses avaient comblé la mesure de ma clémence et que la mort leur était due. Tandis que, cette fois !… Ai-je cru vraiment avoir le droit de détruire l’obstacle trop séduisant qui barrait ma route ? Ai-je mis en balance l’avenir de mon peuple ; compromis par ma folie, et la grandeur de ma mission, avec l’humble vie d’une femme ?… Je dois à la vérité de me répondre : « Non ! » Je cherchais à me tromper moi-même. L’idée de sa mort s’est allumée en mon esprit au seul feu de la jalousie. Avant cela, je savais qu’elle ne m’aimait pas, je souffrais avec une sorte de volupté, sans rancune et sans colère. L’homme, le rival surgissant, la démence est entrée en moi ; j’ai donc cédé au sentiment le plus bas, le plus bestial, le plus injuste, et aussi le plus terrible, car mon cœur était comme entre les griffes d’une bête fauve, et rien n’aurait pu m’apaiser. Un instant, cependant, le clair regard de l’amant, levé sur moi dans un élan de pitié, a failli me rendre la raison ; mais l’humiliation de le sentir plus noble que moi a aussitôt éteint cette lumière. Alors le baiser