Page:Gautier - Le Vieux de la montagne, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/281

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d’adieu, qui, sous mes yeux, a scellé leurs lèvres, m’a aveuglé de fureur… Ce baiser dont le souvenir me fait grincer des dents encore. Ô ! malheureux que je suis !…

Oui, je le confesse, devant le jour qui se lève : J’ai condamné Gazileh injustement, j’ai fait une morte de ce chef-d’œuvre du Créateur parce qu’il se refusait à moi et pour qu’il ne fût à personne. Moi qui ai, pendant tant d’années, travaillé au perfectionnement de mon âme et de mon intelligence, qui savais tout de la terre et devinais le ciel, un piège vulgaire m’a fait trébucher. Donc, je me juge et je me condamne. Je suis déchu de ma grandeur et indigne de commander.

Il s’était levé, les yeux sur le soleil, qui surgissait, comme un faisceau de glaives, entre les pics dont il ensanglantait la neige. Debout, si près du vide que des fragments du sol croulaient sous son pied, sa robe blanche rougie par le reflet, il courbait la tête, contemplant l’immensité béante, avec l’idée de se faire dévorer par elle, de lui jeter son corps périssable, pour qu’en se brisant il laissât s’échapper l’âme immortelle vers les hauteurs reconquises. L’angoisse du vertige, ou l’épouvante d’une douleur surhumaine noya sou-