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LE CAPITAINE FRACASSE.

naisseurs du public poitevin. Il y avait là de bons gros diamants de famille qui, pour être sertis dans de vieilles montures encrassées, n’en avaient pas moins leur prix ; d’antiques dentelles, un peu jaunes, il est vrai, mais de grande valeur ; de longues chaînes d’or à vingt-quatre carats, fort lourdes et précieuses, quoique de travail ancien ; des brocarts et des soieries légués par les aïeules, comme on n’en tisse plus à Venise ni à Lyon. Il y avait même de charmants visages frais, roses, reposés, qu’on eût fort prisés à Saint-Germain et à Paris, malgré leur physionomie un peu trop innocente et naïve.

Quelques-unes de ces dames, ne voulant pas sans doute être connues, avaient gardé leur touret de nez, ce qui n’empêchait pas les plaisantins du parterre de les nommer et de raconter leurs aventures plus ou moins scandaleuses. Pourtant, toute seule dans une loge avec une femme qui paraissait sa suivante, une dame masquée plus soigneusement que les autres et se tenant un peu en arrière pour que la lumière ne tombât point sur elle, déjouait la sagacité des curieux. Un voile de dentelles noires, noué sous le menton, lui couvrait la tête et ne permettait pas qu’on discernât la nuance de sa chevelure. Le reste de son vêtement, de riche étoffe mais de couleur foncée, se confondait avec l’ombre où elle s’enfonçait, à l’encontre des autres femmes, qui cherchaient les feux des bougies pour se mettre en évidence. Parfois même elle élevait à la hauteur de ses yeux, comme pour les garantir des clartés trop vives, un éventail en plumes