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LE CAPITAINE FRACASSE.

ouvragé devait peser plus d’une livre, pendait à un large ceinturon de cuir fermé par une boucle en cuivre et sanglant l’échine maigre du compagnon. Un manteau de couleur sombre qu’il avait jeté sur un banc avec son chapeau complétait l’accoutrement. Il eût été difficile de préciser à quelle classe appartenait le nouveau venu. Ce n’était ni un marchand, ni un bourgeois, ni un soldat. La supposition la plus plausible l’eût fait ranger dans la catégorie de ces gentilshommes pauvres ou de petite noblesse qui se font domestiques chez quelque grand et s’attachent à sa fortune.

Sigognac, qui n’avait pas l’âme à la cuisine comme Hérode ou Blazius et que la contemplation de ces triomphantes victuailles n’absorbait point, regardait avec une certaine curiosité ce grand drôle dont la physionomie ne lui semblait pas inconnue, bien qu’il ne pût se rappeler ni en quel endroit ni en quel temps il l’avait rencontrée. Vainement il battit le rappel de ses souvenirs, il ne trouva pas ce qu’il cherchait. Cependant il sentait confusément que ce n’était pas la première fois qu’il se trouvait en contact avec cet énigmatique personnage qui, peu soucieux de cet examen inquisitif dont il paraissait avoir conscience, tourna tout à fait le dos à la salle en se penchant vers la cheminée sous figure de se chauffer les mains de plus près.

Comme sa mémoire ne lui fournissait rien de précis et qu’une plus longue insistance eût pu faire naître une querelle inutile, le Baron suivit les comédiens, qui prirent possession de leurs logis respectifs, et