Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/154

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« Ô Ludovic ! il ne te souvient donc plus de la pauvre Magdelaine qui t’aimait tant ? je suis donc morte aussi dans ton cœur ; il ne reste donc plus rien de moi ! mon nom s’est donc effacé de la terre des vivants ! Quoi ! parce que mon corps est retourné à la poussière dont il était venu, on m’abandonne, on m’oublie ! — Mon âme n’est pas morte, si mon enveloppe est morte : c’était donc cela que tu aimais en moi, puisque tu ne m’aimes plus maintenant que je suis en proie au ver. Moi, je t’aime toujours, je souffre, au fond de ma froide demeure, quand je te vois abandonner le soin de célébrer le nom de ma patronne, le doux nom qui te plaisait tant. La Magdelaine qui est là-haut, assise aux pieds de son bien-aimé Jésus, n’a pas été contente de te voir célébrer avant elle le vieux prophète Élie. Au nom de Magdelaine qui est le mien, au nom de l’amour que tu as eu pour moi, ô Ludovic ! pendant ces jours que je regrette même au ciel où je suis, je t’en supplie, reprends l’œuvre que tu as laissée, continue ton poème si tu veux rentrer en grâce auprès de ma sainte patronne ; sinon, tu mourras dans l’année. Voilà ce que j’avais à te dire. Adieu, ô mon chéri ! »

L’ombre disparut, et le religieux se réveilla.

Nous avons dit que le père Pierre de Saint-Louis ajoutait une foi implicite aux songes et aux visions. L’apparence et la réalité étaient choses semblables pour lui. Il regarda ce rêve comme un avertissement d’en haut, et il se remit à son poème avec plus d’ardeur que jamais. Il montrait ses vers, à mesure qu’il les composait, à tous les frères de la communauté. Les uns en faisaient des