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Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/356

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mauvaises herbes qu’on en a retirées, nous paraît avoir perdu beaucoup d’épis pleins de grains d’or. Nous sommes de ceux qui regrettent que Malherbe soit venu. Un grand et admirable poète, Mathurin Régnier, a exprimé la même idée en vers d’une énergie et d’une vigueur surprenantes. L’influence de Louis XIV n’a pas toujours été heureuse sur la littérature et les arts de son temps. La perruque du grand roi y domine trop. La majesté, l’étiquette, la convention, ont quelque peu chassé la nature. Les arbres du parc de Versailles portent des boucles et des frisures comme les courtisans ; les poèmes sont tracés au cordeau comme les allées. Partout la régularité froide est substituée au charmant désordre de la vie ; la volonté d’un seul homme remplace le caprice individuel ; Louis XIV, qui se laissait bénignement personnifier sous la figure du soleil, avait plutôt l’amour du faste que celui de l’art. Il n’était pas doué de l’intelligence passionnée des Jules II, des Léon X. Il savait qu’il entre dans la composition de tout beau règne une certaine quantité de poètes, de prosateurs, d’architectes, de statuaires et de peintres, et il se procura les artistes dont il avait besoin pour sa gloire, car les grands rois font les grands artistes ; ils n’ont qu’à vouloir : un regard d’attention, une bonne parole et une poignée d’or suffisent pour cela. Mais cet art improvisé n’avait pour centre et pour but que Louis XIV. Plaire au roi, divertir le roi, louer le roi, peindre le roi, sculpter le roi, telle était la pensée unique ; et comme le roi aimait la pompe un peu roide, la solennité un peu guindée, tout se modelait sur son goût. La poésie avait toujours des habits de gala,