Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/81

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vive joyeux, aimant les chevaux et les femmes, chose bien naturelle à son âge. Quant à l’affaire du médaillon, il y voyait, lui Rudolph, plus d’étourderie que de noirceur : c’était à un souper, au cabaret, avec des lorrettes et des figurantes, — l’abandon du portrait pouvait se mettre sur le compte du vin, car Henri se grisait quelquefois, et il était ivre ce soir-là comme un membre du parlement ; — il avait sans doute craint d’exciter la jalousie ou la colère d’Amine, personne très-violente, qui croyait avoir des droits sur son cœur. Dans tout cela, il n’y avait pas de quoi fouetter un hanneton, et M. Desprez se montrait un père vraiment rébarbatif !

De pareilles excuses ne persuadaient nullement le brave M. Desprez, qui persistait à regarder Dalberg comme un drôle indigne de pitié et de pardon.

Aussi Rudolph, lorsqu’il vint rendre compte de sa mission à Dalberg, sans lui enlever tout espoir, lui fit-il comprendre que M. Desprez serait long et difficile à ramener, et qu’il faudrait de nombreux entretiens pour obtenir la rentrée en grâce d’un coupable contre lequel s’élevaient de si fortes préventions.

Il se ménageait ainsi les moyens d’aller souvent chez M. Desprez, sans exciter les soupçons de Dalberg.

Si vous eussiez vu Rudolph se rendant rue de l’Abbaye, vous ne l’eussiez pas reconnu. — Il se faisait, pour ces occasions, une figure de circonstance. Le raffiné disparaissait complétement ; ses moustaches aiguës perdaient leur férocité ; son œil de faucon s’éteignait ; une tranquillité pleine de bonhomie endormait sa face habituellement agitée de tics nerveux ; des bottes plus larges, des gants moins justes, des vêtements d’une ampleur sans prétention, une canne toute simple, lui donnaient cet air de respectabilité qui fait dire aux parents : « Voilà un homme sérieux et capable de parvenir à tout ! »