Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/82

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Il causait avec M. Desprez d’économie politique et de toutes sortes de sujets graves, sans pédanterie, mais avec connaissance de cause. L’ex-notaire lui trouvait de l’instruction, des idées justes et pratiques. Il s’étonnait qu’un homme si mûr et si raisonnable pût se plaire dans la société de jeunes fous, à quoi le baron répondait qu’il était sans famille, et que, privé des joies du foyer, il lui fallait bien quelques distractions extérieures, ce dont M. Desprez tombait d’accord ; Rudolph, pour achever de se mettre bien avec M. Desprez, lui indiqua quelques affaires où celui-ci réalisa des bénéfices considérables. À dater de là, Rudolph grandit singulièrement dans l’estime de l’ex-notaire ; il ne jurait plus que par lui. — Aux objections qu’on pouvait lui faire que ce personnage si posé, si froid, avait des maîtresses, soupait et jouait ; il répondait que, n’ayant pas d’engagement, il était libre de faire ce qui l’amusait, pourvu que les convenances fussent respectées.

Comme beaucoup d’autres gens vertueux, M. Desprez avait plus horreur de ce que coûtaient les vices que des vices eux-mêmes. Des fils de famille qui gagneraient toujours au jeu, dont les chevaux obtiendraient tous les prix et à qui leurs maîtresses apporteraient de l’argent, trouveraient beaucoup de bénignité, même chez les pères les plus rigoristes et les oncles les plus furieux.

Telle était à peu près la position de Rudolph. Il n’y avait dans sa vie aucun désordre apparent, point de dettes criardes, point de liaison affichée, pas de duel scandaleux, rien qui eût attiré l’attention ; et, depuis quelque temps, on le voyait beaucoup moins dans les coulisses, au club et au café de Paris. Il se rangeait insensiblement, donnant pour prétexte que l’on ne devait pas se permettre certaines folies au delà de trente ans.