Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/95

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de Calixte aussi sainement qu’Amine ; il l’attribua à d’autres causes : — au refroidissement de la jeune fille pour Dalberg, et peut-être aussi à une bienveillance naissante pour lui. — Rudolph, amoureux, n’était plus clairvoyant, le bandeau lui descendait sur les yeux comme aux autres…

— C’est sans doute cette coquine de mademoiselle Beauvilliers qui est là en face dans cette baignoire avec ce gredin d’Henri Dalberg ? dit très-bas M. Desprez au baron…

— Oui, répondit Rudolph ; ils ne se quittent plus maintenant.

— Prêtez-moi donc un peu votre lorgnette, que je la regarde… un peu en détail… continua le notaire.

Si jamais surprise se manifesta clairement sur une face humaine, ce fut sur celle de M. Desprez, après qu’il eut contemplé quelque temps Amine au bout des deux énormes tubes d’ivoire. Le brave notaire n’avait aucune idée de l’élégance parfaite et du comme il faut extérieur où arrive la corruption dans un certain monde. Amine lui fit l’effet d’une marquise en bonne fortune avec son cousin. Elle lui parut ce qu’elle était, ravissante… Sa mise, d’une simplicité si gracieuse, et où la modestie de Calixte n’eût rien trouvé à reprendre, renversait toutes les idées du bonhomme.

Selon lui, une espèce de ce genre devait porter des plumes de toutes couleurs, des robes ponceau ou jonquille, brodées de clinquant et de paillon, des chaînes d’or à trois tours et des pendeloques de strass. Son érudition sur cette matière remontait à des souvenirs de jeunesse. Lorsqu’il n’était encore que petit clerc, il avait admiré en attirail de ce goût ce qu’il appelait créatures, dans les galeries de bois du Palais-Royal, et il croyait qu’il en était toujours ainsi. La date éloignée de ces renseignements faisait l’éloge de la moralité de l’ex-notaire.