Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

moi j’aime les chats : les chats sont les tigres des pauvres diables.

Hormis les chats, je n’aime rien, je n’ai envie de rien ; je n’ai qu’un sentiment et qu’une idée, c’est que j’ai froid et que je m’ennuie.

Aussi je me chauffe à me géographier les jambes, je brûle mes pantoufles, mes volets sont doubles, mes rideaux doubles, mes portes rembourrées. Ma chambre est un four, je cuis ; mais, malheureusement, il est plus difficile de se préserver de l’ennui que du froid.

Quoi faire ? Rêver ? On ne peut toujours rêver. Lire ? J’ai dit que je savais tout. Quoi donc ?

Je n’ai jamais pu apprendre à jouer aux cartes ni aux dames, et encore moins aux échecs ; je n’ai pu m’élever à la hauteur du casse-tête chinois ; c’est pourquoi, n’étant bon à rien, je me suis mis à faire des vers. Je n’ai guère eu plus de plaisir à les aligner que vous à les lire… si vous les avez lus.

Je vous jure, en tous cas, que c’est un piètre divertissement, et que vous feriez bien d’en chercher un autre.

On m’a dit plusieurs fois qu’il faudrait faire quelque chose, penser à mon avenir. Le mot n’est-il pas ridicule dans notre bouche, à nous qui ne sommes pas sûrs d’une heure ? Qu’il faudrait prendre un état, ne fût-ce que pour avoir un titre et une étiquette, comme un bocal d’apothicaire. Que je ne pouvais pas n’être rien, que cela ne s’était jamais vu ; que ceux qui n’étaient rien, en effet,