Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/229

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cuisine : il fallait mettre sur sa table des drageoirs et des hanaps ; il ne voulait manger que faisans avec leurs plumes, paons rôtis, ou toute autre viande chevaleresque. Dès qu’il voyait paraître quelque mets plus bourgeois et plus confortable, il entrait en fureur, et il aurait presque battu Marthe, sa vieille gouvernante, lorsqu’elle lui versait du faro ou du lambick, au lieu d’hydromel et de cervoise.

Par le même motif, il n’admettait dans sa bibliothèque aucun livre imprimé, à moins que ce ne fût en gothique ; car il détestait l’invention de Guttemberg autant que celle de l’artillerie.

En revanche, les rayons étaient chargés de force beaux manuscrits sur vélin, aux coins et aux fermoirs d’argent, à la reliure de parchemin ou de velours.

Il admirait avec une naïveté d’enfant les images des frontispices, les fleurons des marges, les majuscules ornées aux commencements des chapitres ; il s’extasiait sur les roides figures des saintes aux cils et aux prunelles d’azur, les beaux anges aux ailes blanches et roses ; il avait peur des diables et des dragons, et croyait à toute légende, si absurde qu’elle fût, pourvu que le texte fût en bonne gothique ligaturée et le titre en grandes lettres rouges.

En peinture, ses opinions étaient fort étranges : au delà des tableaux du quinzième siècle, il ne voyait plus rien ; il n’aimait que Mabuse, Jacquemain Gringoneur, Giotto, Pérugin et quelques pein-