Théodore, sensiblement ému et attendri par ce touchant souvenir, se décida à tenter la périlleuse opération de remettre son ami sur sa chaise ; mais le succès ne couronna pas cette pieuse entreprise ; il fit le plongeon entre la table et le banc, et disparut.
Ce fut pendant quelques minutes des grognements sourds et étouffés ; car Théodore était précisément tombé sur l’estomac de son estimable camarade, et il lui pesait plus qu’un remords ; cependant, après des efforts inouïs, ils parvinrent à se mettre dans une position un peu moins incommode, et le calme se rétablit.
Après un silence assez long :
— Hélas ! fit Roderick.
— Qu’as-tu, mon cher ami ! dit Théodore avec toute l’effusion caractéristique des ivrognes.
— Je suis bien malheureux !
— Est-ce que ta maîtresse t’a planté là ?
— Au contraire, mon ami, la pauvre femme n’est pas capable de cela ; c’est bien, pour mon malheur, la plus vertueuse créature qui soit.
— Voilà un singulier reproche.
— On voit bien que tu as le bonheur, toi, d’avoir pour maîtresse une catin !
— Singulier bonheur !
— Certainement, mais tu n’es pas à même de le comprendre ; tu n’as jamais eu que des filles ou des femmes entretenues, ou tout au plus des grisettes. Tu n’es jamais descendu jusqu’à l’honnête femme.