En vérité, si ce n’est qu’un nom, jamais cinq lettres ne se sont donné rendez-vous dans deux misérables syllabes pour former un mot plus insignifiant. Du reste, s’il est permis à quelqu’un qui n’est pas vaudevilliste de faire un pitoyable calembour, la vertu n’est pas un nom, mais un non indéfiniment prolongé.
Théodore, effaré, souffla par ses narines comme un hippopotame, et redoubla d’attention.
Roderick continua :
— Oui, mon ami, la vertu est essentiellement négative. Être vertueux, qu’est-ce autre chose que dire non à tout ce qui est agréable dans cette vie, qu’une lutte absurde avec les penchants et les passions naturelles, que le triomphe de l’hypocrisie et du mensonge sur la vérité ? Quand les États reposaient sur des fictions, il y avait besoin de vertus fictives, sans quoi ils n’auraient pu vivre ; mais, dans un siècle aussi positif, sous une monarchie constitutionnelle, entourée d’institutions républicaines, il est indécent et de mauvais ton d’être vertueux : il n’y a que les forçats qui le soient. Quant aux femmes honnêtes, la race en est perdue ; elles sont toutes au Père-Lachaise ou ailleurs : les épitaphes en font foi.
— Mais il me semble que tu as dit tout à l’heure, Roderick, que ta maîtresse était vertueuse ?
— Benêt ! quand on dit que toutes les femmes sont des catins, il est toujours sous-entendu qu’on excepte sa mère et sa maîtresse : ainsi, ton observation n’a pas le sens commun.