Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/313

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l’escalier, le service de mon oncle ne la retenait plus, elle vint s’asseoir au coin du feu avec nous.

Maria quitta aussitôt le genou où Pragmater la retenait presque malgré elle ; car, en dépit de toutes ses caresses, elle ne le pouvait souffrir, et courut se mettre sur les genoux de Berthe.

Elle lui raconta ce que nous avions entendu, et lui répéta même quelques couplets de la ballade qu’elle avait retenus.

Berthe l’écouta gravement et avec bonté, et dit, quand elle eut fini, qu’il n’y avait rien d’impossible à Dieu ; que les grillons étaient le bonheur de la maison, et qu’elle se croirait perdue si elle en tuait un, même par mégarde.

Pragmater la tança vivement d’une croyance aussi absurde, et lui dit que c’était pitié d’inculquer des superstitions de bonne femme à des enfants, et que, s’il pouvait attraper celui de la cheminée, il le tuerait, pour nous montrer que la vie ou la mort d’une méchante bête était parfaitement insignifiante.

J’aimais assez Pragmater, parce qu’il me donnait toujours quelque chose ; mais, en ce moment, il me parut d’une férocité de cannibale, et je l’aurais volontiers dévisagé. Même à présent que l’habitude de la vie et le train des choses m’ont usé l’âme et durci le cœur, je me reprocherais comme un crime le meurtre d’une mouche, trouvant, comme le bon Tobie, que le monde est assez large pour deux.

Pendant cette conversation, le grillon jetait imperturbablement ses notes aiguës et vibrantes à tra-