Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/336

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verts sur lui, il le connaît, sait son nom véritable, ses prénoms et son état. Rien n’a servi.

Pourtant ce malheureux ne recevait ses lettres que par une main tierce, quatre jours après les rendez-vous ou les invitations qu’elles indiquaient ; il lisait les journaux de la semaine passée ; il sortait avant le jour et ne rentrait qu’à la nuit tombante pour ne pas être connu dans son quartier, et ne pas faire naître à quelque droguiste, assis sur le pas de sa porte entre une caisse de pruneaux et un tonneau de jus de réglisse, cette idée sournoise et dangereuse :

— Mais ce monsieur n’est pas de notre compagnie ?

Avant cette terrible dénonciation, le réfractaire n’existait qu’à l’état d’utopie, de rêve, de fiction, ou plutôt il n’existait pas, ce qui vaut bien mieux ; il était parvenu à se faire un petit néant très-confortable, dans lequel il vivait comme un rat dans un fromage. Tout ce bonheur n’est plus ; il est constaté maintenant et prouvé aussi clairement qu’une règle d’arithmétique, il est forcé d’être lui-même.

À dater de ce jour, il tombe chez son portier qui a beau prétendre ne pas le connaître, une neige de papiers plus ou moins incongrus (la comparaison serait plus juste si les papiers étaient propres), tels que billets de garde, citations au conseil de discipline, condamnations en vingt-quatre heures de prison, et autres balivernes en français civique.