Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/80

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lement ou non. Depuis cette nuit fatale, il resta dans un état d’hallucination presque perpétuel qui ne lui permettait pas de distinguer ses rêveries d’avec le vrai. Pendant qu’il dormait, Jacintha avait envoyé chercher le portrait ; elle aurait bien voulu y aller elle-même, mais sa robe tachée l’avait trahie auprès de sa tante, dont elle n’avait pu tromper la surveillance.

Onuphrius, on ne peut plus désappointé de ce contre-temps, se jeta dans un fauteuil, et, les coudes sur la table, se prit tristement à réfléchir ; ses regards flottaient devant lui sans se fixer particulièrement sur rien : le hasard fit qu’ils tombèrent sur une grande glace de Venise à bordure de cristal, qui garnissait le fond de l’atelier ; aucun rayon de jour ne venait s’y briser, aucun objet ne s’y réfléchissait assez exactement pour que l’on pût en apercevoir les contours : cela faisait un espace vide dans la muraille, une fenêtre ouverte sur le néant, d’où l’esprit pouvait plonger dans les mondes imaginaires. Les prunelles d’Onuphrius fouillaient ce prisme profond et sombre, comme pour en faire jaillir quelque apparition. Il se pencha, il vit son reflet double, il pensa que c’était une illusion d’optique ; mais, en examinant plus attentivement, il trouva que le second reflet ne lui ressemblait en aucune façon ; il crut que quelqu’un était entré dans l’atelier sans qu’il l’eût entendu : il se retourna. Personne. L’ombre continuait cependant à se projeter dans la glace, c’était un homme pâle, ayant au doigt un gros ru-