Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/96

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Le père qui lui transmit ce malheureux nom était quincaillier, et tenait boutique dans une des rues étroites qui se dégorgent dans la rue Saint-Denis. Comme il avait amassé un petit pécule à vendre du fil d’archal pour les sonnettes et des sonnettes pour le fil d’archal, comme il était parvenu en outre, au grade de sergent dans la garde nationale d’alors, et qu’il menaçait de devenir électeur, il crut qu’il était de sa dignité d’homme établi, de sergent en fonction et d’électeur en expectative, de faire donner, comme il appelait cela, la plus brilllante (trois lll) éducation au petit Daniel Jovard, héritier présomptif de tant de prérogatives avenues ou à venir.

Il est vrai qu’il était difficile de trouver quelque chose de plus prodigieux, au dire de ses père et mère, que le jeune Daniel Jovard. Nous, qui ne le voyons pas comme eux au prisme favorable de la paternité, nous dirons que c’était un gros garçon joufflu, bon enfant dans la plus large étendue du mot, que ses ennemis auraient été embarrassés de calomnier, et dont ses amis auraient eu grand’peine à faire l’éloge. Il n’était ni laid ni beau, il avait deux yeux avec des sourcils par-dessus, le nez au milieu de la figure, la bouche dessous et le menton ensuite ; il avait deux oreilles ni plus ni moins, des cheveux d’une couleur quelconque. Dire qu’il avait bonne tournure, ce serait mentir ; dire qu’il avait mauvaise tournure, ce serait mentir aussi. Il n’avait pas de tournure à lui, il avait celle de tout le monde : c’était le représentant de la foule, le type du non-