Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/206

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Seulement elle lui reprochait sa dissimulation du premier jour.

— Pourquoi ne pas dire tout de suite qui vous étiez ? pourquoi nous faire accroire que vous étiez une Anglaise ?

— C’est vous qui m’avez trouvé l’air anglais, répondait Lucienne en riant.

— C’est juste, disait-elle.

Puis elle ajoutait d’un air fin :

— Je comprends ; vous êtes venue comme ça en tapinois pour les surprendre.

Tout s’expliquait donc le mieux du monde, mais Lucienne ne perdait pas de vue son grand projet, et elle en préparait toujours la réalisation.

Elle attira un jour le père Grialvat derrière sa chaumière, et, tout en se promenant avec lui le long de sa vigne reconquise, elle lui parla de sa fille.

— Vous savez que tout espoir de la sauver est perdu, dit-elle.

— J’sais ben, elle s’en va comme sa pauvre sœur, dit le paysan ; le mal de poitrine ne pardonne pas. Elle a peut-être attrapé ça à la rivière, en lavant le linge en plein hiver. Avant quatre ou cinq jours, elle sera en terre.

— En terre ! et où cela ? demanda Lucienne.

— Comment ? dit le père Grialvat étonné ; eh bon, mais, au cimetière.

— Dans une tombe à elle, je pense ?

— Et en avoir les moyens ! Non, on la portera à la fosse commune, avec les autres.