Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/223

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— Comment allez-vous, docteur ? dit Max sans quitter sa place.

— Ah ! ne m’en parlez pas ! s’écria le docteur ; ici je me dissous ; je vais tomber en poussière comme une bête empaillée restée trop longtemps dans un musée. J’ai de la moisissure dans les narines, des toiles d’araignée dans la cervelle. Il me semble que j’ai l’âge des Pyramides et que la mort a oublié de me faucher !

— Vous n’êtes pas poli, savez-vous, dit madame Dumont en souriant.

— Poli ! est-ce qu’on est poli sur le radeau de la Méduse ? reprit le docteur en haussant les épaules. Nous sommes des compagnons d’infortune ; gémissons ensemble.

— Pauvre docteur ! dit Max, vous ne connaissez pas encore la résignation.

— La résignation ! s’écria le jeune homme en faisant un bond sur son fauteuil, est-ce qu’on se résigne à mourir d’inanition ? On se ronge les poings plutôt. Songez donc qu’il y a six mois j’étais à Paris, c’est-à-dire en pleine vie, en pleine lumière ; et maintenant je suis scellé tout vivant dans une tombe. Je me débats. Vous, vous êtes momifiés.

— Merci, dit madame Maton en faisant la moue.

— Tenez, continua le docteur, pour voir du nouveau, pour forcer cette maudite ville à s’agiter et à s’émouvoir un peu, j’ai envie de commettre un crime. Je songe à égorger mon confrère qui est là à jouer aux cartes, le docteur Pascou.