Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/348

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— Comment ! tous laisser seule !

— Ce ne sera pas long ; plus tard, le pharmacien serait fermé ; et puis j’ai de la fièvre, voyez, et pourtant je voudrais dormir.

La garde-malade prit l’ordonnance et s’éloigna.

Alors, comme poussée par un ressort, Lucienne bondit hors de son lit. Elle ouvrit une armoire, prit ses vêtements, s’habilla, se chaussa. Ses mouvements étaient brusques, nets, rapides. Elle fut bientôt prête.

Avant de quitter sa chambre, elle s’approcha de la table où le docteur écrivait ses ordonnances, et elle traça ces quelques lignes sur une feuille blanche :

« Pardon, père ! pardon, Stéphane ! Je voulais vivre pour vous aimer. Ce n’est pas ma faute, je meurs. »

Son écriture était plus grande que d’ordinaire, pourtant ses yeux ne la voyaient pas sur le papier.

Elle descendit l’escalier et ouvrit la porte.

Elle ne sentit pas le froid vif du grand air ; mais il lui sembla que les maisons penchaient en avant et en arrière, que le sol s’élevait et s’abaissait.

Elle s’appuya un instant à la muraille ; mais elle se raidit, et partit tout à coup à grands pas, rigide, avec des allures d’automate.

Elle arriva à la gare, sans se souvenir du trajet qu’elle avait fait. Le train chauffait. Elle prit son billet et monta dans un compartiment qui était vide.

Une fois là, sa mémoire lui échappa de nouveau.