Aller au contenu

Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Hélas je ne te verrai plus, ô ma chère Parvati, sourire de ma vie, soleil de mes jours, lune de mes nuits ; je ne te verrai plus jamais, hélas ! Ta main fine ne me flattera plus, et ta voix harmonieuse ne me dira plus ces mots d’amitié qui m’étaient aussi doux que vos plus douces musiques. Mais il faut que je te quitte pour ne pas commettre devant toi un crime affreux.

Oh ! sans doute, tu m’auras bientôt oublié. Tu seras toujours la divine princesse Parvati, bénie de tous, et moi, privé de toi, je ne serai plus rien qu’une bête errante et misérable, qui n’aurai pour me consoler que le souvenir de l’ancien bonheur ! … Oui, c’est ainsi qu’eût crié le poète et que j’eus crié si je n’avais pas été un éléphant.

Je m’enfonçai plus avant dans la forêt, et l’idée me vint d’aller chercher un appui auprès du bon anachorète qui nous avait si cordialement accueillis, la princesse et moi, le jour où j’avais voulu l’enlever et où le serpent et l’orage m’avaient fait me repentir de ma faute. Certes, ce pieux vieillard, qui avait médité les livres saints et savait bien qu’il ne faut pas être moins pitoyable aux animaux qu’aux humains, ne me repousserait pas et, peut-être, ses paroles de consolation apaiseraient-elles un peu le chagrin qui m’abattait.

À mesure que j’avançais, la forêt me paraissait bien changée ; les oiseaux ne l’égayaient plus, les fleurs étaient pâles et comme languissantes, et même, il semblait qu’une mort précoce y desséchait le feuillage des arbres.

— C’est parce que je suis triste, pensai-je d’abord, que la forêt me paraît triste ; mais bientôt, quand j’aurai retrouvé l’anachorète, ses paroles me rendront quelque espérance et quelque courage ; j’entendrai de nouveau le chant des oiseaux qui nous saluait jadis, et de nouveau, je verrai briller les fleurs que, jadis, je cueillais pour elle.

Hélas ! quelle était mon erreur ! Comme moi, la forêt avait bien réellement perdu toute sa gaieté ; les oiseaux ne voulaient plus y chanter et les fleurs ne voulaient plus s’y épanouir.