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Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/157

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faim me retint et, dans le langage des éléphants, je leur dis à peu près ceci :

— Mes frères, je suis un malheureux bien inoffensif et qui ne songe aucunement à vous nuire. Voilà longtemps que j’erre au hasard sans trouver d’asile et, si vous ne m’assistez, la faim m’aura bientôt tué. Ayez pitié de ma détresse ; donnez-moi un peu de vos provisions et, en échange, je vous rendrai tous les services que vous exigerez de moi.

Ces paroles ne les émurent pas. Ils se disaient entre eux :

— C’est un éléphant blanc, un malade, sans doute, ou tout au moins un être qui ne nous ressemble pas. À quoi bon l’accueillir parmi nous ?

Un éléphant, plus grand et plus vigoureux encore que les autres, qui semblait le chef de la harde, cria plus fort :

— Il ne faut jamais accueillir les étrangers ; défions-nous des nouveaux venus, et loin de leur être favorables, chassons-les. Quand même cet éléphant serait noir, il faudrait le repousser puisqu’il n’est pas né dans cette clairière. Il est blanc, donc, à plus forte raison, nous devons le renvoyer d’ici.

Et tous reprirent :

— Oui ! oui ! qu’il s’en aille !

Ils se tournèrent vers moi en criant :

— Va-t’en ! va-t’en !

J’essayai de leur parler encore ; mais leurs cris redoublèrent. Plusieurs se levèrent et me menacèrent de leurs défenses. Seul contre vingt éléphants, qu’aurais-je pu faire ? Puis, la vie parmi des maîtres affectueux, la vie calme et l’habitude de veiller sur la plus douce et la plus charmante des princesses m’avaient rendu très pacifique ; je n’aimais pas les querelles, les cris me faisaient horreur ; et je m’éloignai de la clairière où j’avais espéré un instant trouver un refuge.

Je compris bien que je n’avais rien à attendre de mes semblables. Partout, on m’accueillerait comme un intrus. Je me rappelais d’ailleurs