Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/17

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et, sans me presser, très nettement, j’écrivis l’alphabet d’un bout à l’autre.

— Iravata, ô mon fidèle ami ! s’écria la princesse, je savais bien que tu étais plus que notre égal !

De ses beaux bras blancs, elle entourait ma vilaine trompe, et appuyait sa joue contre ma peau rugueuse : je sentis des larmes rouler sur elle ; alors, tremblant d’émotion, je ployais les genoux et je pleurais aussi.

— Très curieux, très curieux, murmurait l’Anglais extrêmement agité et qui laissait tomber et remettait sans cesse le morceau de verre au coin de son œil.

— Qu’en dites-vous, milord, vous, un des plus savants hommes de l’Angleterre ? demanda la princesse en m’essuyant les yeux avec son écharpe de gaze.

Le savant avait repris tout son sang-froid.

— Quintus Mucius, qui trois fois fut consul, dit-il, raconte qu’il a vu un éléphant tracer des caractères grecs et former cette phrase : « C’est moi qui ai écrit ces mots et consacré les dépouilles celtiques »[1]. Et Élien rapporte qu’un éléphant a écrit des sentences entières et même a parlé. Je ne pouvais croire des choses pareilles. Il faut bien reconnaître qu’elles sont possibles et s’incliner devant les anciens, nos maîtres, en s’excusant d’avoir douté de leur parole.

Ma princesse décida que le maître d’école serait attaché à ma personne et chargé de m’apprendre à écrire des syllabes et des mots, si cela était possible.

Le brave homme, avec un respect profond et une patience digne d’un saint, se mit à l’œuvre dès le lendemain.

Je fis, moi, de si grands efforts pour comprendre que je maigris de façon à donner de l’inquiétude à ceux qui m’aimaient. Ma peau en

  1. Mucianus ter consul, auctor est aliquem ex his et litterarum ductus græcarum didicisse, solitumque præscribere ejus linguæ verbis : « Ipse ego hæc scripsi et spolia celtica dicavi. »
    (Plinii secundi Naturalis historiæ VIII, 3.)