Page:Gautier - Mémoires d'un Éléphant blanc, Armand Colin et Cie, 1894.djvu/25

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et me les montra, comme pour me les offrir ; alors je n’hésitai plus, je me mis à la nage et je traversai le lac.

Quand j’eus atteint l’autre rive, je fis comprendre à cet aimable étranger que je n’étais pas venu attiré par la gourmandise, mais bien pour jouir de sa compagnie. Il me força tout de même à accepter une partie de sa trouvaille et se mit gentiment à manger le reste. Puis, après quelques gambades qui me semblèrent fort gracieuses, il s’élança en avant, m’invitant par des regards aimables à l’accompagner dans sa promenade. Je ne me fis pas prier et nous nous enfonçâmes tous deux dans la forêt, courant, folâtrant, cueillant des fruits et des fleurs.

Je prenais tant de plaisir aux gentillesses de mon nouvel ami que je ne m’aperçus pas du chemin qu’il me faisait parcourir. À un moment, cependant, je me trouvai tellement dépaysé que je m’arrêtai inquiet.

Nous venions de déboucher dans une plaine inconnue dont les lointains se découpaient singulièrement sur le ciel ; c’étaient des pointes, des monticules couleur de neige, des boules brillantes, des fumées ; toutes choses qui n’étaient pas de la nature.

En voyant mon hésitation, mon compagnon, pour la faire cesser, me donna un amical coup de trompe, assez vif cependant pour laisser deviner une vigueur peu ordinaire, mais ma défiance était éveillée, je ne fus guère convaincu par cette tape dont la peau me cuisait et je refusai d’aller plus loin.

L’étranger poussa alors un cri prolongé auquel d’autres cris répondirent.

Sérieusement effrayé cette fois, je me retournai brusquement vers la forêt. Une dizaine d’éléphants venaient d’en sortir et me barraient le passage.

Celui qui m’avait ainsi dupé, sans que je puisse encore comprendre pourquoi, craignant le premier élan de ma colère, s’était prudem-